Il vérifie la température des plats, teste la literie, veille à être agréablement accueilli… Le client mystère met souvent le doigt là où cela coince, quitte à montrer l’envers du décor comme Jean-François Jorsin (1). Cet ancien client mystère a publié un ouvrage au service du consommateur avec pour objet : « Le luxe comme vous ne l’avez jamais vu ». Dans nos sociétés de consommation où le « client est roi », la méthode fait toujours recette. Entreprises et même administrations, l’utilisent pour devenir un outil d’amélioration de la relation client. Lumière sur une pratique encore bien mystérieuse.
Le tourisme en tête
« Selon les missions, je regarde l’accueil, la propreté, les sols, le rangement, le décor, le temps de réactivité, les odeurs, la climatisation, la température, les toilettes, le savon, etc» détaille Marie (2), mandatée par l’institut de sondage Lavialle (ISL) afin de mesurer la qualité des services d’hôtels ou de restaurants. Le scénario est bien ficelé : il s’agit de se glisser dans la peau d’un client lambda : « Je ne juge pas, je teste, je regarde, j’observe, j’examine » ajoute cette cliente-mystère de 59 ans. Le secteur du tourisme d’ailleurs pilier dans cette activité. Précurseur en France, le guide Michelin emploie des clients-mystères depuis 1920. Car ces clients-mystères œuvrent également dans le cadre de programmes de labellisation.
Ainsi, la reconnaissance « Maitre restaurateur (3) », « Fait maison », impliquent des enquêteurs anonymes qui travaillent sur le terrain. De même, la loi Novelli impose désormais la visite de l’hôtel par un client mystère à partir de la quatrième étoile, comme l’explique un article du Monde (4)qui fait le point sur cette petite révolution dans le milieu. Le client-mystère se fait ainsi garant de la qualité de service avec pour seul outil un sacré sens du détail mais également une solide mémoire. C’est cette expertise que recherchent également les entreprises qui font appel à ces clients presque comme les autres.
La bataille secrète des entreprises
En entreprise, « la visite mystère a pour but de mesurer l’écart entre la qualité promise au client et la qualité réelle du service rendu» explique Chantai Tryers, présidente de l’Association pour le management de la réclamation client (Amarc (5)). Le client mystère est ainsi un baromètre auquel les dirigeants se fient afin de pallier les limites des évaluations internes. Détecter les failles d’accueil, contrôler la maîtrise des techniques de vente des vendeurs, le client-mystère décèle les points forts et faibles de l’entreprise. Il s’agit de décrypter ses informations afin d’en faire « un outil d’évaluation stratégique » comme le précise Laurent Delafontaine (6), membre du collège de la fédération française de la franchise.
Alizés Diffusion, franchiseur de l’enseigne Point Soleil, un réseau de centres de bronzage, organise des enquêtes mystères pour s’assurer que sa promesse commerciale («Accueil, Conseil, Hygiène») est correctement mise en œuvre dans ses franchises. Outre la seule vérification des standards, «la visite mystère est un outil de management, pas de flicage» précise Dominique Baumier (7), directeur général d’Alizés Diffusion.
Cette dérive du « flicage » est néanmoins réelle. Le recours au client-mystère au sein de l’entreprise serait contreproductif pour les équipes qui se sentiraient sous pression et menacées. Par ailleurs, la méthode, si elle n’est pas strictement encadrée, peut faire l’objet de dérives. Des « mystery shoppers » peuvent être envoyés par des entreprises concurrentielles dont le but est de trouver la faille, voire pousser à la faute pour ensuite en publier le résultat. Une méthode qualifiée de « douteuse » par le juriste Thomas Benhamou. « Il est toujours étonnant de considérer la provocation comme un mode de preuves » précise ainsi le juriste, Code de procédure civile à l’appui et que la récente démarche d’Optical Center ne manquerait pas d’étonner. L’enseigne a en effet envoyé des clients-mystères chez ses concurrents afin de demander des « factures arrangées » destinées à optimiser la prise en charge par les complémentaires de santé. Cette « manipulation » fut dénoncée en chœur par ses cibles – les enseignes Afflelou, Krys et Optic 2000 – et qualifiée par le secrétaire général de cette dernière, Yves Guénin (8), de «procédé abject ». Ces dérives, désormais, poussent la profession à accélérer sa professionnalisation et à adopter des règles d’éthique.
Même l’administration s’y met
Plus étonnant, en effet, l’administration a également recours depuis quelques années à cette méthode mystérieuse. La Cnamts (Caisse nationale de l’assurance Maladie des Travailleurs salariés) l’utilise afin d’homogénéiser la qualité de réponse de ses 2500 téléconseillers répartis sur le territoire national. Chaque année une à deux campagnes mystères sont lancées. Elles « s’avèrent très utiles à la fois pour sensibiliser les directeurs, mais également pour obtenir de la part des managers des leviers opérationnels sur les axes à améliorer», commente la responsable de la division client Anne Lefevre-Gagnard (9).
La récente loi relative à la consommation va même plus loin. Parmi les nouveaux dispositifs mis en place par la loi Hamon (10), le client mystère constitue une nouvelle arme pour les agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) qui ont pour mission de lutter contre la fraude et les manœuvres commerciales à la limite de la légalité. Ces derniers pourront ainsi se faire passer pour des clients afin de réaliser des contrôles et protéger le consommateur. Dans le collimateur de Bercy : les méthodes taxées d’«obsolescence programmée » mais également le e-commerce. Encore une fois, Thomas Benhamou (11) met en garde contre l’utilisation de cette pratique au regard du strict respect d’impartialité applicable aux autorités administratives indépendantes.
Les perspectives sont donc multiples pour cette méthode du client-mystère que l’on pensait obsolète. Elle est néanmoins concurrencée par la technologie 2.0 qui permet des feedbacks instantanés quant à la satisfaction des clients. Mais la méthode entend bien évoluer. Dernier né dans la famille des clients mystères, le e-client -mystère a fait son apparition. Une manière de suivre l’évolution des modes de consommation.
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(1)http://www.clientmystere.org/2013/12/un-ancien-client-mystere-du-luxe-balance.html
(2)http://www.midilibre.fr/2012/08/19/moi-marie-cliente-mystere,550272.php
(3)http://www.entreprises.ouest-france.fr/article/etre-maitre-restaurateur-cest-reconnaissance-07-10-2013-112601?utm_source=rssutm_medium=ofentrepriseutm_campaign=rss_info_toute
(4)http://www.lemonde.fr/societe/article/2012/07/03/un-nouveau-classement-etoile-pour-l-hotellerie-francaise_1723479_3224.html
(5)http://www.chefdentreprise.com/Chef-d-entreprise-Magazine/Article/DEPECHER-UN-CLIENT-MYSTERE-DANS-SON-ENTREPRISE-24872-1.htm?ID_Article=24872t=DEPECHER-UN-CLIENT-MYSTERE-DANS-SON-ENTREPRISE__xtor=AL-20
(6)http://www.lsa-conso.fr/tribune-les-clients-mysteres-outil-d-evaluation-strategique-pour-la-distribution,174336
(7)http://www.chefdentreprise.com/Chef-d-entreprise-Magazine/Article/DEPECHER-UN-CLIENT-MYSTERE-DANS-SON-ENTREPRISE-24872-1.htm?ID_Article=24872t=DEPECHER-UN-CLIENT-MYSTERE-DANS-SON-ENTREPRISE__xtor=AL-20
(8)http://www.argusdelassurance.com/acteurs/optic-2000-condamne-sur-fond-de-concurrence-acharnee.88750
(9)http://www.relationclientmag.fr/Relation-Client-Magazine/Article/LES-ENQUETES-MYSTERES-DEVOILENT-LEUR-REELLE-EFFICACITE-35046-1.htm
(10)http://www.lechotouristique.com/article/ce-que-change-la-nouvelle-loi-sur-la-consommation,60434
(11)http://www.jurilexblog.com/pour-ou-contre-le-client-mystere-264304